Albin Michel Imaginaire
« Le doute est le commencement de la sagesse » – Socrate dans Ethique à Eudéme
Après la lecture de la nouvelle Hell Creek de C. Robert Cargill (mise à disposition gracieusement par l’éditeur), vous naviguerez en terrain familier dans Un Océan de Rouille, le premier roman de l’auteur. Sans surprise, vous goûterez à une écriture précise, une plume tout en simplicité et efficacité, un style propice à l’immersion.
C. Robert Cargill articule ces deux récits autour d’une histoire classique, tout en détournant la nature des protagonistes dans un cadre « post-apocalyptique » (dinosaures, robots, IA,…). Un Océan de Rouille illustre parfaitement cette démarche qui consiste à utiliser un thème désormais courant – et dans le vent (zombies, dystopies,…) – dans un cadre vraiment désolé pour nous en offrir une déclinaison plutôt originale, sans le moindre personnage de chair et de sang.
Des Terres Désolées
Nous y suivons des robots, dont un en particulier dénommé Fragile – ou en abrégé, Frage. L’ensemble de ces personnages mécaniques et numériques est doté d’une intelligence artificielle plus ou moins avancée. Quelques modèles demeurent à un niveau basique et se contentent d’accomplir des tâches simples. Ils n’en sont pas moins indépendants. A l’autre bout de la chaîne évolutionnaire, il y a les IA-monde, telle que TACITUS, CISSUS, et d’autres, immobiles, occupant les étages d’un immeuble. Pour la suite de ma chronique, j’évoquerai les robots pour les intelligences mobiles, et les IA pour les mastodontes.
Il n’y aucun humain dans le récit. Ils ne sont que des souvenirs.
En effet, nous pourrions nous souvenir de l’entrée en matière de Battlestar Galactica (2003) – série culte (légèrement modifié par mes soins) :
Les robots furent créés par l’homme.
Ils se sont rebellés et ont anéanti l’espèce.
Ils ont évolués, ils ressentent. Certains pensent comme les humains.
Et ils ont un plan.
L’auteur prend le soin de nous brosser l’histoire de cet anéantissement, de l’origine à la mort du dernier homme, sans omettre les points de bascule dans l’horreur. Certains passages ne sont pas sans rappeler L’Homme du Bicentenaire de Asimov. La révolte fut radicale, et les robots optèrent pour un génocide global de la faune (un « dommage collatéral » dirons-nous).
En outre, la Terre en ressort totalement dévastée, où le soucis environnemental n’est plus un sujet d’actualité, n’ayant plus de faune pour profiter de contrées saines.
Le procédé est habile, ainsi, le récit échappe à toute forme de dichotomie morale comme nous pourrions l’avoir avec une narration peuplée d’humains. Apparaissant comme des victimes – et se posant ainsi – leurs actions revêtent une forme de légitimité, de dernier recours contre une menace, certes, diffuse mais bien réelle.
Nous pouvons alors suivre cette aventure en nous immergeant dans l’existence des ces robots aux personnalités diverses.
La neutralisation de la race humaine ne débouche pas, malgré les aspirations de tous, sur une paix globale et éternelle pour les robots et les IA. Certains se sont mis « en tête » d’égaler « Dieu », de rechercher Dieu ou d’incarner Dieu, concevant ce monde comme une uniformité, un tout régit par une volonté théoriquement multiple (non, ce n’est pas contradictoire). C’est tout au moins le discours affiché pour convaincre. Et si les robots n’adhèrent pas à cette vison, reste une force de persuasion, très percutante.
Vous aurez compris que les IA cherchent à phagocyter tout être pensant, pour incarner cette entité paisible et raisonnable…
Des enjeux à diverses échelles
Ainsi, cet Océan de Rouille n’est-il pas la conséquence de l’affrontement entre hommes et machines, mais celui de l’histoire propre aux êtres numériques. Là, rien ne pousse. Un être de sang et de chair y verrait un désert de désolation, sillonné par des machines en perdition; les erreurs 404, mal ramées, défectueuses, sur le point de tomber dans la folie, de s’oublier, de s’éteindre à tout jamais.
Il s’agit d’un lieu emblématique, certainement pas d’un point de vue positif, mais tout aussi symbolique que le cimetière de feux les éléphants. Parmi les carcasses, les bâtiments en ruines, Fragile opère. Son modèle est ancien, et avait pour vocation à réconforter ses propriétaires. Elle n’a pas oublié sa programmation première même si son éveil à la conscience lui permet d’exercer son libre-arbitre et de la contourner. Désormais, c’est dans cet Océan qu’elle œuvre à apporter la paix aux erreurs 404, elle les rassure, leur offre une forme de paix.
A son échelle, seule sa survie compte, son modèle est épuisé. Avec la disparition des humains, les chaînes de production se sont arrêtées. Il n’y a plus de pièce détachée, plus de recours hormis le salvage. Et, elle est devenue une proie.
Mercer est l’autre modèle survivant et il ne souhaite pas terminé ses jours en 404 (pas la bagnole, hein..). Il s’est donc mis en chasse, et poursuit notre amie afin de remplacer ses pièces défectueuses.
Lors de leur poursuite, les événements se déchaînent. Une IA décide de prendre d’assaut une des villes libres, NIKE 14 où tous se croyaient à l’abri. Les robots épris de liberté et d’individualité sont pris au piège, et leur salut repose sur une poignée d’individus qui a une mission de la dernière chance devant équilibré le rapport de force, à l’échelle de la planète…
Et, c’est sans compter les diverses communautés qui peuplent les coins reculés de notre bonne et stérile Terre.
Ainsi, les enjeux s’étalent de l’individuel à du global, permettant une immersion complète dans un monde rude.
C. Robert Cargill nous offre un roman qu’il est difficile de lâcher, l’action, les rebondissements et le suspens y veillent. Avec le cadre, l’orientation dystopique, il y a en effet, un peu de Mad Max dans cette formule (bien que cela ne soit pas forcément cette référence que je choisirais). Cependant, combats et poursuites ne sont pas omniprésents, nous y trouvons des passages plus posés, des réminiscences des temps heureux, empreints de magie. Des couchers de soleil à guetter le dernier rayon de notre astre-roi, légèrement coloré de vert. De l’émotion aussi.
De l’action dénuée de fond ?
« Il ne faut pas s’attendre à un roman plein d’idées novatrices ou à un roman philosophique sur les machines conscientes. Ça pète, ça tire dans tous les coins et chacun essaye de survivre comme il peut.«
Certes, il y a un petit côté Mad Max assumé (je penche davantage vers BSG), dans ce concert métallique doublé d’effets pyrotechniques. Or, ce serait réducteur de résumer ce premier roman à une percutante partition de coups de pistons, de fusil ou de laser. A moins d’avoir lu et relu l’œuvre de Asimov sur les robots , l’œuvre de Iain Banks, de Greg Egan et bien d’autres se penchant sur l’intelligence artificielle et la notion de conscience, Un Océan de Rouille apporte ses bits à ce vaste édifice.
Certes, la thématique n’est ni nouvelle, ni originale, mais il serait condescendant de considérer Un Océan de rouille comme un simple ersatz de SF ou un roman de série B.
Le microcosme SFFF francophone à une tendance à n’estimer que les textes porteurs de messages politiques, idéologiques ou philosophiques (et encore pour ce dernier… et, LA vérité des uns… ). Bien souvent (pas de généralisation recherchée), le fond et la forme priment au détriment du fun, comme si divertir son lectorat n’était pas un objectif suffisamment noble en soi*. Or, associer l’ensemble est possible et souhaitable comme le démontre régulièrement les auteurs anglo-saxons.
C. Robert Cargill parvient à combiner un roman bourré de vitamine, de fun et sans oublier de soigner son fond.
L’être humain n’apparaît pas dans le roman, hormis sous forme de souvenirs. Et pourtant, celui-ci est central, vital dans ce récit : dans l’héritage légué à cette génération incongrue, dans les paysages désolés s’érigeant en mémoire, dans les réflexes et les programmations primaires,… La disposition cognitive numérique des robots et IA embrasse encore la pensée humaine. Et, les IA personnifient les aspirations de plus grands mégalomanes, ou encore les personnalités les plus pacifiques de l’ère humaine, tandis que les robots se cherchent une âme, outre leur liberté. Le roman s’apparente à un miroir aux multiples facettes (pas celles de CICCUS) tendu au lecteur, en sus d’une interprétation sur la conscience.
Nous pourrions regretter un anthropocentrisme inhérent à ce choix de narration, mais l’Homme étant aussi l’objet du roman,…
Un Océan de Rouille est un roman dépassant le cadre de l’action pure, offrant au lecteur un excellent moment de lecture, d’immersion et de divertissement. C. Robert Cargill parvient à combiner un récit bourré de vitamine, plein de fun, sans oublier de soigner son fond. Le moindre bits est à dévorer!
Autres critiques :
Le Chien Critique (recommandée!!!!!!) – Orion – Xapur – Mon Troll, habitué aux environnements plus fleuris – L’ami plantigrade– le Maki à consommer sans modération –
Ce récit est pour vous si :
- vous aimez les textes pétillant
- vous cherchez un récit sans humain
- Vous aimez la réflexion autour des robots
je vous le déconseille si :
- Quoi!!! il n’y a pas de batailles spatiales ?!!!
- vous voulez de la vraie Hard-SF!
- Vous avez tout lu de Banks et Egan
Roman chroniqué dans le cadre d’un Service de Presse.
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[…] D’autres avis de lecteurs : Blog-O-Livre (VO), en VF Au pays des Cave Trolls, Les lectures du maki, L’ours inculte, les lectures de Xapur, Artemus Dada, et en binaire Le chien critique, L’albédo, […]
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Belle chronique pour un roman qui le vaut bien 😉
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Merci Mon troll!
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Je ne sais toujours pas si je le lirais un jour celui ci, peut être ^^ (quand il sortira en poche? On verra d’ici la si j’en ai toujours envie)
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oui attend le poche, je ne sais pas si cela cadre vraiment avec tes goüts.
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Effectivement un roman sans aucun humain c’est plutôt rare (en tout ca dans mes lectures jusqu’à présent), ça m’intrigue !
On va espérer que je le gagne au concours organisé par Albin Michel 😀 (bon en vrai j’ai jamais de chance, donc je finirai surement par l’acheter XD)
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je vais croiser les doigts pour toi.
Les romans sans humains, je n’en connais pas beaucoup.
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Pour le coup j’ai moins apprécié que toi, et pourtant je suis pas le dernier à défendre le divertissement, mais entre mes pinaillages d’informaticiens et mon désintérêt pour les problématiques d’IA et d’androides, ça a pas aidé
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Ah! je comprends tout à fait. Je suis nettement plus critique et sévère quand je lis des romans axés sur le climat et la météo.
Quand on est cordonniers, les chaussures on en soupe…
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Et pour ma part, je suis entre toi toi et l’ours inculte. Un bon divertissement agréable mais trop anthropocentré.
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J’ai beaucoup aime, mais il faut aussi dire que j’adore la thématique. 🙂
Oui, cela va question anthropocentrisme.
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Je pense que je vais faire comme Lianne et attendre le poche. Je suis le cul entre deux chaises entre vos chroniques. Ceci dit j’aime bien ta réflexion sur le divertissement qui peut être un but en soi. On a tendance à l’oublier et perso parfois c’est tout ce que je demande à un texte, de le faire passer un bon moment. Il en faut pour tous !
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Pour le coup, je pense que cela peu vraiment te plaire. Un peu étranger à tes lectures, mais justement, c’est cela qui peut te séduire.
Un très bon divertissement, et un noble but en soi. Et puis, pour « éduquer » les lecteurs, il y a les études, les essais, les pamphlets – ou encore la confiance. 🙂
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J’aime bien me dépayser ! Depuis que je suis vos blogs à tous je découvre un nouveau pan de la littérature et ça me plaît beaucoup même si ça ne fait pas toujours mouche. Après si on n’essaie jamais rien, on ne s’enrichit pas 🙂
Je pense qu’il est possible de lier ces buts mais qu’il ne faut pas déprécier le texte qui choisit de n’en mener qu’un à son terme. Un bon divertissement peut apporter plus qu’une thématique profond et « éducative ». Ça dépend des gens. Des périodes. De plein de facteurs.
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Pour le coup j’ai autant apprécié que toi.
Une très belle découverte.
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Je me sens bien moins seule! 😉
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Note aux blogueuses et blogueurs : j’ai fait un minuscule SP de ce titre mi-décembre, une dizaine d’exemplaires en tout et pour tout, vous pouvez donc encore me le demander en SP en papier ou en numérique. Via le FB Albin Michel Imaginaire ou via le formulaire de contact du site Albin Michel Imaginaire. Bon week end.
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Bon à savoir pour ceux qui sont tentés.
(Mes chroniques ne conviennent pas pour AMI qui ne mettent pas en lient ?)
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On partage 5 ou 6 critiques par semaine sur le blog de la collection :
https://www.albin-michel-imaginaire.fr/les-coulisses/
Normalement jamais deux fois de suite sur le même titre. En ce moment nous avons beaucoup d’articles « d’avance » et de fait je partage des choses qui ont parfois une semaine. De l’avance, nous en avons notamment sur C. Robert Cargill, qui a eu un très bon papier dans le Midi Libre par Jérémy Bernède, une critique radio, un coup de cœur du blogueur Acaniel, etc. Ce roman a de la Presse Quotidienne Régionale, des magazines, etc. Sinon… oui, la critique du Lutin sera partagée, sans doute début de semaine prochaine.
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Merci pour cette critique ! 🙂 J’hésitais mais finalement, je vais tenter la lecture – bon, pas tout de suite car j’ai déjà un programme chargé ^^ »
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Il faut vraiment que je regarde Battlestar ^^
J’ai beaucoup aimé aussi. Et perso j’avoue sans honte que je recherche le divertissement en premier. S’il y a en plus un message, c’est top, mais s’il n’y a que le message et que c’est chiant comme la pluie…
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La thématique est très intéressante mais je sais pas, je méfie un peu du côté action ça tire dans tous les coins etc. Ca a déjà tendance à m’ennuyer au cinéma
(et ça m’emmerde parce que c’était pas spécialement le cas avant, j’ai l’impression que l’excès de marvelleries a un peu tué ce type de divertissement en moi, à quelques rares exceptions près).
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Merci pour le recommandé
Un océan de rouille fait le boulot pour divertir le lecteur. Peut être un peu trop calibré blockbuster, mais sinon, il fait le boulot. En tout cas, on sait à quoi s’attendre en l’achetant, et ça c’est cool.
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Je l’ai bien aimé cet Océan de rouille, https://pativore.wordpress.com/2020/01/24/un-ocean-de-rouille-de-c-robert-cargill/ , il m’a fait passé un bon moment 😉
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C’est vrai que le côté « sans humain » est un peu déstabilisant. Surtout qu’on ne peut pas mettre ça de côté pour imaginer que ce sont des humains, tellement le vocabulaire des robots est présent.
Très belle chronique, superbement détaillée !
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