Le Paidhi – Carolyn Cherryh

Foreigner

Le Paidhi de Carolyn J. Cherryh

 

Le Phoenix est un vaisseau spatial envoyé dans l’espace afin de coloniser une nouvelle Terre. De la friture sur la ligne, une poussière stellaire ou une erreur espace-temps, toujours est-il que l’équipage se retrouve perdu dans un coin de l’espace totalement inconnu. Pas de petits cailloux ou d’étoiles reconnaissables pour rebrousser chemin. Après des décennies d’errance,  une partie de l’équipage décide de s’installer sur une planète hospitalière. Le seul hic : elle est déjà occupée par une race humanoïde et civilisée…

Le Paidhi est un être humain et une fonction – accessoirement un pion. Après plus de deux siècles, c’est Bren Cameron qui a cette charge et cet honneur. Il est l’interprète, l’intermédiaire entre les humains et les atevis, les indigènes de la planète. Les relations n’ont pas été évidentes et une guerre a surgi. Les humains, malgré leur avance technologique, demeure sous la menace plus ou moins permanente d’une expulsion hors de la planète. La mission du paidhi est donc vitale pour l’espèce humaine. Il doit faire son possible pour atténuer les tensions, dissiper tout malentendu et anticiper les heurts.

De premier abord la lecture s’avère ardue. L’auteur ne transige pas, elle a une idée parfaitement claire de ce qu’elle veut conter, et elle ne perds pas de temps en rond de jambes ou paraboles superflues. Ici, pas de chapitre préparatoire ou pédagogique. Le lecteur plonge direct dans le vif du sujet alors que l’équipage est confronté à une panne dramatique. Puis, il débarque sur une planète étrangère et quelque peu étrange qui partage des caractéristiques avec la Terre. Tout ces éléments rendent l’entrée en matière délicate. Il faut quelques pages pour se familiariser avec cet ensemble… pour devoir recommencer une fois la colonie terrienne établie.

Effectivement, à peine les pieds de nouveau sur la terre ferme, le récit fait un bond de 200 ans  – charge au lecteur de comprendre la nouvelle situation et appréhender qui sont les différents intervenants. Cela peut s’avérer déstabilisant et… jouissif. Cherryh joue admirablement de cette déroute momentanée en ne précisant pas d’entrée à quelle origine appartiennent les protagonistes avec qui nous prenons contact. Elle exploite également la perplexité qui est la nôtre alors que nous attendons des décors, des paysages ou des éléments différents de ceux connus sur Terre… et ce n’est pas le cas: une framboise est une framboise (juste une image ici). On pourrait reprocher ce procédé à l’auteur en le taxant d’une certaine facilité, mais bien au contraire c’est vraiment brillant car cela participe justement à l’acculturation proposée tout en jouant sur la confusion.

Après quelques pages, le lecteur s’est accoutumé et cela rend la lecture plus fluide. Il aura d’ailleurs fort à faire avec la culture et la géopolitique particulières des atévis ! Carolyn Cherryh nous propose un monde très élaboré qui n’est pas sans rappeler l’ère Edo du Japon. En effet, un simili système de caste,  un monde dirigé par des chefs de clans qui prêtent allégeance à un seigneur de province, c’est le man-chi – une forme de clientélisme féodal. Mais les individus sont également liés entre eux par des man-chi personnels et pas toujours déclarés. Il existe aussi une guilde d’exécuteurs, car le meurtre est légal. L’acte est ritualisé et encadré : un défi doit être dûment annoncé et enregistré avant de se solder par un meurtre – rien à voir avec des duels. En outre, les seigneurs doivent vivre suivant des préceptes stricts d’exemplarité et de respect de la voie de l’honneur.

Rien d’étonnant qu’il y ait une certaine paranoïa dans les gênes des atévis ! Et la psychologie de ces êtres humanoïdes grands, forts et noirs n’a rien à voir avec celle des humains, d’où la nécessité d’un ambassadeur, le paidhi. Cherryh conçoit une société sophistiquée et complexe, les interactions semblent souvent ne tenir qu’à un mot, une phrase, une allégeance.

Les personnages sont convaincants, très convaincants même, car la psychologie est très fouillée. L’auteur nous les propose à travers les réflexions in petto du paidhi qui tente d’analyser les réactions de ses hôtes et les siennes également, les événements, les us et coutumes du peuple atevi. Nous vivons avec lui sont désarroi quand la situation vire au cauchemar, nous partageons les affres de son incompréhension alors qu’il est balloté tel un bagage parfois excédentaire.

L’œuvre proposée est mature et intelligente, il s’agit presque d’un « planet opera » tant l’univers de cette planète est fouillé. J’ai un regret : il n’y a que 2 des 15 romans traduits en français !

Les introspections assez nombreuses peuvent lasser l’amateur de ping-pong spatial.

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