La Piste des Cendres – Emmanuel Chastellière

Critic

La Piste des Cendres d’Emmanuel Chastellière ne constitue pas la suite de L’Empire du Léopard, toutefois, le roman propose un bel aperçu de la colonie du Coronado un quart de siècle après les événements qui nous y furent contés. C’est l’occasion de replonger avec délectation dans l’univers de la Lune d’Or.

« Telle était la seule chose en laquelle il pouvait avoir encore confiance : le chant du métal et de la poudre. »

1896, Nouveau-Coronado.
Fils illégitime d’un influent propriétaire terrien, Azel fuit son destin, ballotté entre des origines indigènes qu’il renie et une famille qui ne l’accepte pas. Il a préféré rejoindre les montagnes, où il se contente de jouer les chasseurs de primes.

Pourtant, loin des hauts plateaux, la menace d’une guerre se profile dans la péninsule : le Nord, véritable grenier à blé, estime être exploité par le Sud, plus industriel, qui dispose d’un accès à l’océan grâce au port de Carthagène.

L’Empire du Léopard développe un beau et dense worldbuilding, si riche qu’il aurait été frustrant qu’il ne s’agisse que d’une incursion unique dans la péninsule de la Lune d’Or. Les raisons en sont assez simples. C’était bien la première fois qu’un auteur francophone s’emparait d’un courant de la fantasy  anglo-saxonne, la gunpowder fantasy, en la faisant sienne, tout en offrant au lectorat un roman de qualité et une excellente porte d’entrée dans cette dite fantasy. Ensuite, l’univers déployé, si fastueux, si riche d’influences méritait de s’y attarder – et l’investissement consenti par le lecteur se retrouve ainsi « récompensé ».

Enfin, Emmanuel Chastellière prouve au passage qu’il est possible de mêler fond, forme et fun!!! Le lecteur ne s’ennuie pas à subir un pamphlet politique ou existentiel, agrémenté de jolies phrases et de belles tournures. Bien Pire!!!  il se régale avec une belle plume, une histoire prenante, une immersion de tous les instants, tout en se confrontant aux diverses problématiques soulevées.

Voilà! C’est jouissif tout en sollicitant vos neurones, explorant les recoins de votre mémoire et soumettant votre palpitant aux montagnes russes.

J’ai l’impression d’être passée de mon introduction à ma conclusion directement…

Les mystères de l’ouest la Lune d’Or

La Piste des Cendres ne bouleverse pas le cadre du roman précédent, les événements se déroulant 25 ans plus tard. Nous avions alors un récit de gunpowder fantasy, veine que nous retrouvons dans celui-ci.  Mousquets, sabres, canons, pétrole, chevaux, charges de cavalerie et tout une panoplie de marqueurs se côtoyaient alors. Ce sera de nouveau le cas, bien que le fusil et la carabine démontrent une réelle suprématie sur les armes blanches dans le récit qui nous occupe.

En outre, l’aura et l’attrait du pétrole se révèlent plus présents, les innovations se précisent dans ce domaine, tout comme les multiples utilisations possibles; une situation à l’image des USA des années 1860. Ceci n’est pas un simple détail esthétique, il aura son importance dans le roman, marginale certes, mais réelle. Les cuirassés à aubes font leur apparition aux côtés des « trois mats », tout comme les ballons (montgolfières)  prisés pour l’observation des lignes ennemis comme lors de la Guerre de Sécession aux USA (dès 1861).

Les chevaux sont évidemment de la partie, pas seulement comme bête de trait ou lors de charges de cavalerie, inexistantes ici (quel dommage! 😉  ). Nos compagnons équins, ainsi que quelques mules, finissent de planter le décor, surtout pour notre protagoniste principal de La Piste des Cendres, chasseur de prime.

Nous avons donc légèrement dépassé le cadre de la fantasy initiale de L’Empire du Léopard – qui offrait un aperçu de la Flintlock – et sans doute celui de la pure Gunpowder pour se précipiter dans les bras d’une veine à l’image des Mystères de L’Ouest (avec feu Robert Conrad), le Wild Weird West. Il y a bien une ambiance western tout à fait savoureuse que vous pouvez trouver dans Les Manteaux de Gloire de De Castell ou encore dans Les Mille Noms de Wexler.

En revanche, ce n’est pas gentillet, n’imaginez pas La Petite Maison dans la Prairie. Ce n’est pas non plus la musique de Ennio Morricone qui résonne dans votre cinémascope intime,  bien que nous ne soyons pas loin des Sergio Leone en ce qui concerne l’ambiance.

En effet, Emmanuel Chastellière nous propose une Dark Fantasy bien maîtrisée et surtout très bien dosée pour cette histoire entremêlant vengeance, oppression, guerre et révolte. L’esprit de la Dark transpire à travers le récit. Cette fantasy est loin, bien loin d’un étalage primaire de vulgarité, et de gros mots, de violence crue et gratuite, de descriptions anatomiques de viols, d’affrontements et de meurtres.

La Dark Fantasy s’illustre à la fois par une ambiance sombre (pas nécessairement déprimante), par le choix (et les leviers narratifs) d’une histoire mature, ainsi que par un compas moral légèrement déréglé/décalé (et non, un « gentil » qui se comporte comme un méchant mais qui est quand même du côté des bons ne font pas les bases d’un roman de Dark Fantasy). Emmanuel Chastellière l’illustre parfaitement ici.

Nous pourrions sans doute évoquer une fantasy colonialiste, mais je laisse le soin de compléter cette partie à notre taxomaestro, Apophis! 😉

Il était une fois la révolution

L’ambiance étant posée, passons au contexte de notre aventure.

Initialement, les bases  de l’univers empruntent à l’Espagne et à sa période impérialiste; la colonie du Nouveau Coronado, représentant l’Amérique du Sud. Certes, cette description s’avère très simpliste car l’auteur s’ingénia à intégrer d’autres éléments culturels et historiques de l’Europe. Pour La Piste des Cendres, assimiler les événements à la seule période des conquistadors serait donc tout aussi réducteur.

Ainsi, la filiation avec l’Espagne et cette Amérique du Sud sous l’emprise de la péninsule ibérique demeure-t-elle très prégnante, tout en élargissant son horizon plus au Nord, vers les USA. Nous avons évoqué l’ambiance western, marquée. Le contexte des événements renforce les similitudes avec ces grands espaces pour enrichir davantage le roman et le dissocier définitivement de la seule comparaison avec l’Espagne des conquistadors.

En effet, la révolte gronde sous ces latitudes. Les Grandes Familles du Nord considèrent que le Sud profite trop amplement de ses efforts industriels et agricoles, sans être réellement entendu à la capitale, Carthagène. Ils grognent de plus en plus haut. S’ajoutant à ce mécontentement, une figure symbolique, le Loup-Gris (une sorte de Zorro), rassemble les indigènes « perdus » près des ruines de l’ancienne cité impériale Xemballa. Groupés, il deviennent potentiellement une force qui compte, qui menace l’union.

Le meurtre du vice-roi précipite alors le sort de tous. Les deux groupes s’associent dans l’idée de faire sécession. Les uns pour jouir d’un pouvoir décisionnaire en rapport avec leurs efforts économiques, les autres pour être libres tout simplement. Tout rapprochement avec les USA de 1861 n’est sans doute pas fortuit, surtout avec un clin d’œil à la bataille de Bull Run (p111).

« Accessoirement », c’est toute la péninsule qui est mécontente. Alors que Carthagène ne cesse de relayer les directives du Coronado et de la Reine Constance, l’aspiration à l’indépendance se fait grandissante même dans ces terres du Sud,… Un peu à l’image de 1776…

Ainsi, la situation présentée dans La Piste des Cendres ne peut se contenter d’une simple similitude avec l’Amérique du Sud, tant les influences historiques foisonnent. De plus, elle offre un potentiel d’intrigues politiques suffisamment dense pour construire une histoire riche en péripéties et en suspens. Pour ne rien vous cacher, nous serons servis.

La vengeance aux deux visages

Les intrigues se scindent en deux catégories : de la particulière aux générales, alors que le roman se compose de trois parties allant crescendo aussi bien dans l’émotion que dans les enjeux.

Au niveau individuel, nous suivons Azel, un métis dont le père est propriétaire éleveur, descendant d’une grande famille du Coronado. Sa mère nous est inconnue, morte à sa naissance. Le jeune enfant est moqué par ses deux demi-frères qui le considèrent comme un indigène. Grandissant à l’écart, reconnu certes par son paternel, mais guère aimé, il finit par s’écarter de cette vie pour tracer la sienne : chasseur de primes.

Un jour, sa belle-mère, Ombeline, le sollicite pour guider un convoi de… réfugiés rêvant de rejoindre un lieu mythique. La mission tourne au drame. Le jeune homme est laissé pour mort, et promet de se venger.

Sur le plan « national », le vice-roi est assassiné, précipitant les désirs de scission du Nord. Le Conseil choisit de faire appel à l’ancien vice-roi à la retraite, cousin de Sa Majesté Constance, ancien mercenaire de charme et de choc : Artémis (celui de l’Empire du Léopard). Ce dernier décide de mener une guerre éclair afin d’étouffer la révolte dans l’œuf. Cette première partie revêt essentiellement une ambiance western, et suit le parcours d’Azel à la tête du convoi ainsi que les préparatifs martiaux d’Artémis.

La deuxième partie, se consacre à la vengeance d’Azel, du moins, du moins aux recherches qu’il mène afin de retrouver la bande responsable des meurtres. Pendant ce temps, la guerre fait rage entre le Nord, associé au Loup Gris, et les troupes du général Artémis. Les éléments de fantasy sont davantage présents avec de l’alchimie, quelques manifestations surnaturelles et la silhouette éthérée de fées.

Enfin, la dernière partie voit le destin d’Azel rejoindre le cœur de la bataille, tandis que les intrigues politiques explosent vers une aspiration à l’indépendance. L’atmosphère se tourne vers des intrigues de cours, des manigances et des trahisons de taille. Un jeu de dames qui ne verra qu’un seul vainqueur…

Les trames sont passionnantes avec des rebondissements délicieux. L’auteur a réussi à me surprendre, et j’ai adoré. Il y a une petite saveur de L’Empire Ultime de Brandon Sanderson, que j’ai particulièrement apprécié, avec cette tentative de renversement du pouvoir établi, et ces pluies de cendres émaillant le parcours du jeune homme. Des cendres le menant au cœur de l’empire, des cendres, réminiscences d’une empire déchu.

Artémis le Grand

La galerie de personnages est sans doute moins ambitieuse que dans L’Empire du Léopard, et c’est un bien. Le lecteur suit essentiellement 3 protagonistes principaux : Azel, Artémis et Zuihatza.

Le premier tout dédié à sa vengeance passe à côté de nombreuses opportunités, il est déterminé, un peu trop pour son bien. Trop souvent incapable de choisir la nature de son héritage, il est un parfait vecteur des dissensions existantes au sein de ce pays. En revanche, il permet au lecteur d’envisager la situation sous des angles divers tout en privilégiant une approche intime et viscérale. Il est impossible (pour moi) de ne pas penser à Azteca de Gary Jennings.

Artémis est un personnage que nous avons connu dans le premier roman. Il est toujours aussi flamboyant, attachant et intrigant… Intelligent, sournois, charmeur, il accuse sa cinquantaine avec quelques rigueurs. Parfois, vous le détesterez… mais il parviendra à vous charmer malgré vous!

Enfin, Zuihatza s’avère un personnage féminin au tempérament parfois ambivalent, elle démontre des forces et des faiblesses qui en font toute la saveur et l’équilibre. Elle aura un rôle crucial dans notre histoire, avec non seulement un apport de taille dans les intrigues mais aussi dans l’enrichissement de cet univers déjà bien établi.

D’autres personnages accompagnent ce trio et le complètent, du paternel à Ombeline, en passant par la reine Constance, les capitaines ou les journalistes, ainsi que des alchimistes qui mériteraient de fréquenter des hôpitaux psychiatriques. Définitivement.

Il est à noter de nombreuses références qui ajoute du sel : le capitaine Horatio (pour Hornblower de CS Forrester), Sorel (pour le Rouge et le Noir de Stendhal), et d’autres que je vous laisse découvrir. J’ai également apprécié le clin d’œil à la bataille de Bull Run, ouvrant la Guerre de Sécession le 21 juillet 1861 sur les berges du Potomac, accueillant un pique-nique…

Thématiques

Sous couvert de divertissement, les thématiques sont bien présentes, sensibles et portée avec habileté. Le roman précédent s’axait sur le colonialisme, La Piste des Cendres poursuit ce cheminement en s’engageant également dans la dé-colonisation, la libre détermination ainsi que la lourde mutation d’une société. Sur le plan plus intime, il aborde la difficulté à trouver son identité, des repaires et l’acceptation de soi.

Le roman peut parfaitement se lire de manière indépendante, sachant que ce diptyque de qualité s »enrichit mutuellement. Aussi, vous sera-t-il possible de lire le « premier  » tome après celui-ci, sans rien perdre de la saveur.

Enfin, le récit se clôt sur une scène apicole, pour mon plus grand plaisir.

La Piste des cendres parachève L’Empire du Léopard. Emmanuel Chastellière montre une meilleure maîtrise du tempo, des personnages dans une intrigue réservant du sel et des surprises. Pas d’ennui à l’horizon dans cette dark fantasy de très belle facture. Pour en rien gâcher, papilles et neurones résonnent au diapason!

A lire sans modération!

Autres critiques :

Mon Troll et son TrollgnonAelinelOmbrebonesSymphonieElhy

Ce livre est pour vous si :
  • vous aimez les univers soignés,
  • vous souhaitez un livre de gunpowder fantasy « pédagogique »
  • vous avez aimé la plume d’Emmanuel Chastellière
je vous le déconseille si
  • vous n’avez aucune affinité avec la dark fantasy
  • vous recherchez une magie spectaculaire
  • vous souhaitez un roman qui pète dans tous les sens, et tout le temps

Livre lu dans la cadre d’un SP.

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59 réflexions sur “La Piste des Cendres – Emmanuel Chastellière

  1. Belle chronique même si je l’ai un peu survolée vu que je compte lire un jour ce livre.
    En général je ne suis pas super fan de dark fantasy (j’ai du mal à m’attacher) mais peut être que le coté gunpowder sera un plus qui arrivera à me toucher ici.

    je voulais juste savoir, il faut avoir lu L’Empire du Léopard avant ou c’est pas forcement necessaire?

    Aimé par 1 personne

    • merci!
      Je pense que ce roman te plaira, il possède les ingrédients que tu aimes, et une histoire bien « travaillée ».
      Les personnages ne sont pas foncièrement mauvais, bien au contraire. Ce sont leurs choix qui crééent la situation.

      Pas besoin d’avoir lu L’Empire du léopard. 😉

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  2. Très belle chronique qui me donne encore plus envie de découvrir ce titre et le précédent dans le même univers, ayant adoré la plume de l’auteur dans Célestopol ^^
    Au passage, j’aime beaucoup l’image que tu as choisie au début de ton article 😉

    Aimé par 1 personne

    • tu peux le lire sans soucis, je crois que cela te plaira, sachant que j’ai trouvé La Piste meilleur que L’Empire.
      Il fallait bien que je fasse mon petit hommage à un acteur qui me fascinait quand j’étais enfant. J’adorais Les Mystère de l’Ouest.

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  3. Belle chronique, comme d’habitude. Je l’ai lu pour Bifrost, donc je ne peux rien dire de plus sur le sujet pour le moment. Par contre, les Mille noms n’ont, à mon sens, rien de Western (c’est plus une allégorie de la campagne d’Égypte Napoléonienne) 😉

    Aimé par 1 personne

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