Le Trône de Jade – Naomi Novik

Le Trône de Jade de Naomi Novik

Téméraire, tome 2

Prix Locus

Nous avions fait la connaissance de Téméraire, un dragon fort sympathique dans le premier tome du cycle qui lui est consacré, Les dragons de sa Majesté. Cette créature fantastique est magnifique et intelligente, de plus elle ne rechigne pas devant un bon combat. Notre reptile est au service de la Couronne britannique, alors en plein conflit avec Napoléon Bonaparte. Il sert dans une unité très particulière : l’Aerial Corps. Son capitaine et plus cher ami se trouve être Laurence, un transfuge de la Royal Navy qui découvre avec des yeux ébahis des mœurs militaires peu conformes à sa formation.

Le Trône de jade commence peu de temps après les événements du premier tome. Notre dragon est d’origine chinoise et était initialement destiné à l’Empereur français. Les princes de Chine ont pris ombrage de cette situation, d’autant que leur fabuleux cadeau doit affronter les dangers de la guerre au quotidien. Ils menacent donc sérieusement les intérêts économiques et stratégiques de l’Angleterre, et souhaitent récupérer l’animal séance tenante. Mais Téméraire et Laurence ne l’entendent pas de cette oreille…

S’engage alors un voyage de plusieurs mois qui va conduire nos héros et la suite impériale asiatique de l’Europe à la Chine en passant par le redoutable cap Bonne Espérance.

 

Ce deuxième tome reprend les ingrédients que nous avions découverts dans le premier, une fantasy YA de belle qualité. L’association ingénieuse d’un dragon et d’un équipage au complet fait toujours merveille. Cet attelage est à mi-chemin entre un hélicoptère de combat lourd et une corvette légère. Il offre de multiples possibilités et une grande polyvalence en fonction de la taille de la bête. Cet aspect est moins mis en valeur dans le présent tome, Naomi Novik ayant choisi de nous inviter à un faire un voyage dépaysant et captivant.

L’auteur a également conservé l’ambiance napoléonienne ainsi que cette fanasy dans la veine Flintlock. Ainsi, avons-nous des uniformes chamarrés, des armes à poudre, un équipage spécialisé et hétéroclite et une Royal Navy conforme aux traditions d’alors. L’Aerial Corps qu’elle a imaginé se trouve être avant-gardiste pour le début du XIX°. Pour autant, elle ne tombe jamais dans un anachronisme ou une modernité d’expression, d’accoutrement ou de langage qui seraient trop décalés. C’est une véritable force quand tant de romans YA manquent de sérieux dans ces domaines.

Dans Le Trône de Jade, le lecteur voit son horizon s’élargir grandement puisqu’il est amené à suivre les péripéties de Téméraire et son équipage à bord de l’ancêtre du porte-avions, le bâtiment britannique Allegiance qui vogue vers les rives de la Chine éternelle. Le trajet maritime est long de plusieurs mois et nécessite plusieurs escales, propices à la découverte d’autres contrées à l’époque XIX° telles que l’Afrique discrète et secrète, la brutale Afrique du Sud, l’impitoyable Cap Bonne Espérance et la secrète et merveilleuse Chine.

La trame en elle-même pourrait décevoir les amateurs de poudre à canon et de batailles rangées. Il y en a fort peu dans les 540 pages du roman. J’avais des attentes de cet ordre lorsque j’ai entamé sa lecture, et 400 pages plus loin, Téméraire et Laurence parvenaient à peine en vue des côtes extrême-orientales… Il aura fallu attendre les 50 dernières pages pour sentir l’odeur du salpêtre et entendre des détonations caractéristiques (peut-être était-ce une forme d’hommage à la Chine)!

Malgré tout, je ne suis point déçue. Le voyage proposé peut paraître long et ennuyeux pour le lecteur qui ne serait pas séduit par cette belle restitution d’univers, s’il ne capte pas les embruns des mers et océans ou s’il ne parvient pas à humer les encens puissants et raffinés de l’Asie.

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Effectivement, le trajet dure près de 350 pages (après une centaine de feuillets verbeux qui freine l’enthousiasme) et plusieurs mois pour nos comparses. Naomi Novik a donc le loisir d’ouvrir sa fantasy sur d’autres contrées à l’aube du XIX°. Elle offre des visions enchanteresses et poétiques (paysages, arts, etc..) mêlées à la réalité et la brutalité humaine d’alors (esclavagisme, faim…). C’est l’occasion de découvrir de nouveaux types de dragons ainsi que des pratiques et conceptions différentes, voire opposées, à leur égard.

Téméraire et Laurence sont tout d’abord stupéfaits par le nombre de ces créatures mythiques sur le sol chinois, puis ce sont les comportements des protagonistes locaux qui les sidèrent. En Chine, ces reptiles sont vénérés, libres, indépendants et « civilisés ». Ainsi peuvent-ils observer des comparses écaillés assis sur les bancs d’une école aux côtés d’enfants, d’autres acheter de la nourriture ou mourir de faim, faire de la poésie, rédiger des lettres… un traitement très éloigné de celui qui prévaut en Europe où ils sont craints, tenus à l’écart des hommes et des villes, et surtout réduits à l’état des montures de combat qu’ils représentent pour la Couronne (ou l‘Empire).

Inutile de préciser que Téméraire percevra ce décalage qui le touchera profondément, lui qui est si épris de justice. Des tensions naissent entre lui et Laurence qui ne peut justifier ce qui est du coup perçu par le dragon comme une forme d’esclavage — pour lui et les siens. C’est en partie en cela que le roman relève de la YA. La réflexion proposée est plutôt bienvenue et amenée de manière agréable, mais l’auteur n’offre pas une thématique bien novatrice (même si je salue l’invitation sous-jacente et assez rare en YA). La comparaison des us et coutumes d’un pays à l’autre pour souligner des points particuliers reste un procédé classique et efficace, Montaigne l’utilisait déjà dans ses Lettres Persanes (ainsi que Voltaire dans Zadig). En cela, c’est une YA assumée et avenante.

Le rythme reflète le choix narratif de Naomi Novik. La première centaine de pages passées, les protagonistes embarquent pour un long voyage vers la Chine, entrecoupé de quelques moments de bravoure qui rompt l’homogénéité du récit (une bataille navale, une attaque maritime, une tentative de meurtre, le Nouvel An chinois, une tempête,…). Nous pouvons apprécier ici le talent (ou la compétence) de l’auteur qui réussit à rendre ce trajet agréable et captivant, et sans réel temps mort. L’emballage final clôt l’aventure en beauté bien que le lecteur ne puisse pas être réellement surpris de la tournure que prennent événements.

Le Trône de Jade est un roman de fantasy YA de belle facture. Nous avons un auteur qui a parfaitement accommodé les éléments destinés à son public cible, tout en faisant preuve d’ingéniosité, de séduction et de sérieux. Naomi Novik, nous livre un récit agréable et vivant dans un univers abouti et harmonieux à tous niveaux : comportement des protagonistes, langage, époque et mœurs.

 Je remercie vivement Apophis qui m’a encouragée à lire cette série. Vous trouverez sa critique ici : Téméraire 2.

Autres critiques :

Boudicca

Challenge :

Défi lecture 2016 : #20 u livre avec du vert sur la couverture

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11 réflexions sur “Le Trône de Jade – Naomi Novik

  1. Merci pour le lien 🙂

    Je suis tout à fait d’accord avec ta critique, notamment sur le fait que c’est très, très au-dessus du reste du YA en terme de solidité de l’univers.

    Sinon, concernant la poudre à canon, tu vas plus trouver trop bonheur dans le tome 3, je pense.

    (par contre, ils contournent le Cap de Bonne-Espérance et pas le Cap Horn, il me semble)

    Aimé par 1 personne

    • De rien!
      C’est bien possible que j’aie inversé en écrivant les 2 caps, cela ne serait pas la première fois (parfois les angles droit font 60° chez moi… J’ai ce genre de « confusion »)

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