Carbone modifié – Richard Morgan

Carbone Modifié de Richard Morgan

Carbone modifié, tome 1

Bragelonne – Milady

Prix Philip K. Dick

 

Tout laisse penser que Laurens Bancroft s’est fait sauter le caisson. Proprement, radicalement et sûrement. La police en est convaincue et a laissé tomber une enquête de pure routine. Le lieutenant Ortega en charge de celle-ci ne porte pas le bonhomme dans son cœur… Aussi Bancroft a-t-il pris les choses en main et engagé une pointure. Non, je ne débloque pas en raison d’agapes prolongées, vous avez bien lu : Laurens Bancroft a décidé de s’offrir les service de Kovacs, un ancien Diplo, l’élite des combattants.

Sans doute, dois-je préciser le « comment s’est possible ». C’est tout simple, Bancroft possède une minuscule pile au niveau de sa nuque qui lui permet de ressusciter… éternellement, dans un clone, un autre corps ou un synthétique. D’ailleurs, notre détective privé n’est pas natif de la Terre, et s’est fait expédié via une transmission spatiale du tonnerre depuis sa planète Harlan dans le corps d’un ex-flic, tombé pour corruption dont l’esprit est en stockage pour 200 ans.

Bienvenus au 26° siècle sur cette bonne vieille planète bleue!

L’éternité est à vous! La grande Faucheuse a perdue de son aura et de sa puissance, renversée, culbutée par un bond technologique sans précédent. L’humanité – tel le lapin de base – a essaimé sa progéniture dans les 4 coins de la galaxie. L’unité est presque faite sous la bannière étoilée du protectorat des Nations Unies. Les quelques récalcitrants sont priés de rentrés dans le rang, ce qu’ils font généralement avec empressement. Il faut dire que les NU ont un argument de poids : les Diplos, une force de frappe qui ferait pâlir de jalousie les demi-Dieux eux-mêmes et renverraient larmoyant dans les jupes de leur mère les plus grands héros de l’antiquité. Limite psychopathe, les réflexes et la puissance augmentée par des améliorations techniques (les neurachem), ces combattants sont le bras armés d’une démocratie ferme et décidée. Et pourtant, le combattant ultime serait plutôt l’ultra-ninja, une enveloppe corporelle conçue pour le combat rapproché.

Car dans ce monde, vous pouvez changer de corps comme de chemise – ou presque – il suffit d’en avoir les moyens… Et en prime assouvir tous les fantasmes d’ordre esthétique, empirique ou les très cochons. C’est par l’intermédiaire de Kovacs, de son enquête, de ses souvenirs et de ses cauchemars que Richard Morgan dévoile l’univers complexe et psychotique qu’il a concocté. Beaucoup de tabous sont accessibles et de nombreuses opportunités sont offertes aux audacieux, aux fortunés et/ou aux personnes d’expérience dont Bancroft – trois siècles au compteur. Ce sont là toutes les immenses facultés des Maths. Loin d’être un référence à Euclide ou à Pascal, elle aurait pu avoir un rapport avec le vin -pas le contenu  mais le contenant – s’agissant des Mathusalem. Ce milieu élitiste vit à la marge de la société, trop éloigné des considérations communes, trop blasé pour les plaisirs simples  et surtout trop riche de temps pour accepter les règles du jeu. Le sublime côtoie le sordide,  la beauté l’abject.

Bref, toujours es-il que Bancroft s’est étalé la matière grise sur le mur de son bureau (sans chandelier), mais est convaincu qu’il s’agit d’un assassinat. Qui? pourquoi? Charge à Kovacs de le découvrir.

Notre ami enquête en suivant l’instinct particulier des Diplos, et ne fait pas dans la dentelle (ni dans le crochet -sauf du droit). Car entre bastons, bourre-pifs, dézingages de caboches et parties de jambe en l’air, le lecteur peine à se remettre de ses émotions!  Kovacs vit à mille à l’heure, l’enquête suit un tempo d’enfer et le lecteur survit a des shoots d’adrénaline entre deux amphétamines. Oui, les drogues sont aussi de la partie, elles s’avèrent exquises dans un sens – ou dans l’autre.

Et, là je n’ai fait que déflorer la virginité de cette Terre du 26° siècle… Il y a d’autres planètes succinctement évoquées comme Harlan, la patrie de Kovacs partageant deux cultures : polonaise et japonaise.  Ainsi, notre enquêteur de choc possède-t-il des caractéristiques intéressantes. Élevé par un gang, engagé dans les forces armées, formé comme Diplo, puis mercenaire, pile au placard et enfin détective, il est à la fois un combattant froid et implacable et un homme blessé. Certes, Kovacs n’échappe pas aux clichés de l’anti-héros borderline des films noirs, mais l’auteur lui donne suffisamment de corps et de failles pour qu’il demeure attrayant d’un bout à l’autre. Enfin, nous ne terminons pas sur la découverte d’un dur au cœur de guimauve et cela est rassurant!

Pour en revenir à Bancroft, le math qui s’est fait exploser la cervelle. Là, aussi, le type est fat, conscient de son importance et salaud, mais conserve une part d’humanité et de sensibilité qui évite la caricature du connard de première. Même sa femme Myriam étale des atouts autres que son charme pour convaincre sur sa partie.

J’ai particulièrement aimé deux protagonistes : le lieutenant Ortega et Trepp, deux femmes qui ont du chien, un cerveau et de la poigne. La première évite de remplir e seul office de la potiche de service destinée à idolâtrer le héros (même si…). Elle sait raisonner, elle a foi en son métier et son rôle,  est dotée d’à priori tenaces et d’une rancune toute aussi profonde… Trepp est une mercenaire qui mérite le détour, et même son retour. Je ne dirais rien de plus au risque d’en dévoiler trop, car il s’agit d’un thriller cyberpunk : il faut éviter de vous spoiler afin de profiter de toute la saveur du roman.

Tout n’est pas parfait. Le rythme est très bon, mais il y a des passages que j’ai trouvé surjoués, des retournements de situation prévisibles, des passages à tabacs trop réguliers. Certes, ces assauts d’agressivité sont dans le ton d’un roman noir, mais un poil too much justement. Un dernier mot sur les scènes de sexe qui  consolident le personnage principal et l’univers cyberpunk élaboré par Richard Morgan. C’est assez rare qu’elles remplissent ce double office que je tenais à le souligner.

Le récit s’avère tortueux sans être totalement glauque, ce qui fut un soulagement pour moi. Question ambiance et ton, je rapprocherais Carbone modifié de Blade Runner, pour vous donnez une petite idée au cas où vous connaitriez…

Lecteur en recherche d’un fix-up de sensations et de SF d’envergure, voici ta came! Âme sensible s’abstenir.

Autres critiques :

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Challenge :

Challenge Littérature de l’Imaginaire – 5° édition

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Le livre :

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Numérique

Traducteur : ANGE

Date de parution : 22/06/2012

Nombre de pages : 432

48 réflexions sur “Carbone modifié – Richard Morgan

  1. C’est vrai que c’est très bon, et tout à fait d’accord pour tes réserves ; il y en a deux autres avec Kovacs, mais pas lus…

    La trilogie de fantasy est assez hard question sexe et violence (cf la critique du Bélial : https://www.belial.fr/blog/rien-que-l-acier ) et à part une traduction calamiteuse, ce sont 3 excellents bouquins…

    Bon bout d’an et meilleurs vœux pour 2017 avec encore plein de bonnes critiques !

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    • Oui, je l’ai trouvé très bon, surtout en sachant qu’il s’agit d’un premier roman. Je lirai la suite, ils sont dans ma PAL.

      J’ai aussi pris le premier tome de sa trilogie de fantasy lors de l’ops Bragelonne. J’espère que cela ne sera pas aussi violent que ce que je crains…

      Bon bout d’an et meilleurs vœux également! Et je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin.

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  2. Une excellente critique (j’ai beaucoup aimé le ton employé) pour une trilogie de Post-Cyberpunk mâtinée de roman noir à lire absolument. Si tu as aimé les références à la planète natale de Kovacs et à sa culture unique, tu seras ravie de savoir que le tome 3 se passe là-bas.

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    • Merci Apophis!
      Le ton est venu naturellement et je le trouvais particulièrement adapté au contenu. Une indication de ce que le lecteur lira. Je suis ravie que tu remarques.
      Je te confirme que c’est une bonne chose car j’ai été intriguée par les multiples références à Harlan (Quell et l’homme Parchwork).
      Cela fait un moment que tu n’as rien publié sur ton blog…

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      • La prochaine critique (dans tous les sens du terme…) est prévue vendredi soir ou samedi matin. Vu à quel point ce que je lis est « passionnant » et à quel point je bute sur quelque chose toutes les pages ou quasiment, tu ne seras pas étonnée de savoir que je ne suis pas spécialement motivé pour avancer (je suis à 60 % de mon rythme de lecture habituel, en gros). Et puis il y a les fêtes et tout ça. Le rythme normal de publication devrait reprendre à partir de lundi.

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        • Oh! C’est Opar que tu lis?
          Je ne devrais pas me réjouir de ta future critique, mais je sens qu’elle va être plaisante!! Il me tarde. J’ai bien remarqué que ton rythme de publication avait fléchi et je suis ravie qu’il reprenne à sa vitesse de croisière très bientôt.

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          • Oui, c’est Opar. Mais il ne faut pas s’attendre à une critique humoristique mais rentre-dedans, plus à « faut pas pousser mémé dans les orties non plus, surtout à ce prix là », parce que niveau traduction et paratexte (ou plutôt son absence criminelle), c’est un peu une catastrophe sur les bords. En gros, c’est moi qui me tape le travail de relecteur et de préfacier de Mnemos, quoi.

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            • J’aime aussi les critiques rentre-dedans! Je ne sais pas ce qu’ils nous font, c’est la même chose avec Histoire du futur de Heinlein : publier un joli livre… tel quel – sans aucune plus-value sinon celle de l’objet « plus » class. C’est limite attrape-couillon.

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  3. Hé hé, voilà de l’excellence came côté chronique en tout cas ! Tellement bonne que je suis bien contente d’avoir pu me procurer cette dose dernièrement, le Père Nowel a été un très bon dealer cette année 😉

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    • Ah!Ah!
      J’étais « inspiré » pour cette chronique. Il faut dire qu’à la suite de cette lecture j’étais encore sous l’influence de ses produits galopants. 😉

      J’espère que la lecture te sera aussi planante que pour moi, sans frôler l’overdose, car c’est un premier roman, et du coup à quelques scories liées à ce fait.
      Bon produit! 🙂

      Contente que le Père Nowel t’ait pourvu correctement!

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  4. En effet, ta chronique m’a fait penser à l’univers de Blade Runner (ou plutôt Do Androids Dream of Electric Sheep? (oui je ne me lasse pas du titre en VO)). Et donc, je pense que ça pourrait me plaire. Après, je suis plutôt sensible donc le côté sombre me rebute un peu tout de même… à voir, à l’occasion 🙂
    ~Kara

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    • Ah, les titres en VO sont généralement nettement plus sympas. Et celui de Blade Runner n’échappe pas à la règle, je le préfère 100 fois également.
      Je suis aussi une âme assez sensible, et il est certes noir, mais amplement supportable. En fait, il ne fait pas dans le voyeurisme.

      Après, il faut être convaincue et avoir envie de lire le livre. Sinon, cela ne le fait pas.

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      • Bah, je suis rarement convaincue avant de lire un livre (c’est au livre de me convaincre 😉 ) Si j’aime pas j’arrête (ouais, je suis comme ça moi, je me prends plus la tête ^^ Bon, à part si j’ai acheté le dit livre, parce que bon tout de même, c’est une question de rentabilité quoi).
        En fait je suis assez curieuse, donc je pourrai me laisser tenter si je le croise inopinément à la bibli.

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        • Ah!Ah!
          Curieuse quand même! Alors je souhaite que tu le croises à la bibliothèque, et j’aurais ton avis sur ce bouquin qui révolutionne quand même le cyberpunk.

          J’ai pour « philosophie » de ne pas me forcer à lire un bouquin qui m’ennuie, alors je te comprends tout à fait – et même si je l’ai acheté! Mais, je deviens plus prudente sur mes choix.

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  5. Je viens de le commencer et j’ai presque terminé la série. J’aurai aimé le lire avant la série mais bon c’est pas bien grave. Pour le moment, je suis complétement sous le charme des 2 (les perso ne se ressemblent pas vraiment physiquement entre livre et série mais bon on boude son plaisir avec l’acteur de la série). L’univers est vraiment excellent je trouve.

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