Blind Lake – Robert Charles Wilson

Blind Lake de Robert Charles Wilson

Denoël – Lunes d’encre

 

Je n’ai jamais rien lu de Robert Charles Wilson, pourtant il jouit d’une réputation sérieuse dans la milieu de la sf. Cette année, j’ai décidé de combler cette lacune en me fixant la lecture de trois de ses romans. Spin est le plus connu de tous et le premier qui m’ait été recommandé chaudement, le chef d’œuvre de l’auteur. Mais voilà, pourquoi commencer par son œuvre majeure? Gourmande que je suis, je préfère garder le meilleur pour la fin.

Ainsi, mon choix s’est porté sur Blind Lake, en raison d’une partie du quatrième de couverture :

« A Blind Lake, Minnesota, Marguerite Hauser s’intéresse tout particulièrement à un extraterrestre qu’elle appelle « le Sujet« , mais que tout le monde surnomme « le homard« , à cause de sa morphologie. Et voilà qu’un jour, personne ne sait pourquoi, le Sujet entreprend un pèlerinage qui pourrait bien lui être fatal. »

Quelle est la vison de RC Wilson sur le premier contact avec une espèce extra-terrestre, voilà bien une question propice à me tricoter les méninges.

Le roman sort de l’ordinaire quant à cette première rencontre extra-terrestre, habituellement l’alien plus ou moins pacifique débarque sur la Terre ou inversement, une expédition s’invite sur une planète éloignée,  quelque cas proposent une rencontre « fortuite » (Vision Aveugle de Peter Watts).  Dans le cas présent, ce premier contact est réalisé à « distance ». La planète d’origine du Sujet se situe à quelques 50 années lumières de la Terre. Il ne s’agit dès lors que d’une observation, sans interaction, sans danger et finalement sans l’exaltation attendue pour un tel événement. Du moins en apparence… Car notre bon homard nous fait bisquer avec sa sortie dans le désert et des réactions inattendues qui défient la compréhension des exobiologistes. Oui, parfois il se retourne comme s’il se sentait suivi… 50 années lumières séparent pourtant la Terre de ce spécimen.

Le lecteur découvrira un jeu de miroir plutôt très adroit, et bien que quelques pièces du puzzle permettent de se douter d’une partie de la chute, j’en suis ressortie plutôt satisfaite.

L’œil, la technologie qui permet cette prouesse est étonnante dirais-je. Je laisse la parole à l’auteur qui répète suffisamment dans le texte que les scientifiques ne la comprennent pas et qu’ils parviennent tout juste à la maîtriser. « Les créatures pensantes fabriquent des machines, continua-t-elle, et leurs machines deviennent complexes, et les créatures finissent pas bâtir des machines qui pensent et même davantage : des machines qui investissent leur complexité dans la structure d’états quantiques potentiels. » C’est la meilleure explication que j’ai trouvé au sujet de cette technologie révolutionnaire. Ce parti-pris assumé est à double tranchant, certains lecteurs pourront tiquer, car finalement la physique quantique devient à la SF ce que la magie est à la fantasy, un procédé narratif bien commode (et plaisant). D’autres lecteurs considéreront cet aspect de la même façon que les systèmes de propulsion du futur.

Je suis un peu réservée car s’il y a des techniques romanesques que j’accepte parfaitement dans un space opera, c’est un peu plus délicat dans d’autres registres de la sf pour lesquels j’attends plus de rationalité.  Ceci dit, j’expose ce point qui reste un bémol sur l’ensemble de l’œuvre et qui dans tous les cas participent à l’aura de mystère dans lequel baigne tout le récit.

Tout commence par une mise en quarantaine pour une raison totalement inconnue (95% du roman). A  cette interrogation s’ajoute une dimension sérieuse et suspicieuse quand un couple décide de fuir la zone de confinement et se font purement et méchamment dézinguer! Le cadre est posé, la fuite est interdite. Dès lors, le roman bascule dans un huis-clos de plus en plus oppressant et paranoïaque.  Cet aspect est maîtrisé avec brio : à la fin je trouvais l’atmosphère irrespirable.

Non seulement les événements concourent à rendre l’ambiance étouffante – avec la quarantaine, une technologie quantique de plus en plus mise à l’index suspectée d’être la cause de ce très long blocus, l’attitude du Sujet…- Mais aussi des personnages à cran voire carrément menaçants!

Nous faisons connaissances avec un trio de journalistes présents pour écrire une série d’articles sur la planète observée, le sujet, l’exobiologie, Blind Lake. La femme est une garce de première classe, imbue de sa personne, dotée d’un cynisme qui illustre l’amertume qui commence à la ronger. Un universitaire sur le déclin tente de racheter un peu de crédit personnel, son dernier ouvrage, un vrai succès commercial n’a pas été bien accueilli par la communauté intellectuelle. Le dernier journaliste du trio aura un impact conséquent à Blind Lake, il est atteint d’une sorte de syndrome du sauveur qui compense un énorme sentiment de culpabilité.

Ainsi, notre héros malgré lui prêtera-t-il main forte à Marguerite Hauser qui n’est autre que l’exobiologiste étudiant le homard alien. Elle est aussi une femme divorcée cherchant à se libéré de son ex-mari et élevant sa fille très particulière…. Elle voit dans les reflets son « double » qu’elle  nomme la fille-miroir, une compagne éthérée dont la présence se renforce au long du récit.

Il faut dire que RC Wilson brosse des personnages très vivants et soignés, parfois névrosés, parfois flippants comme l’ex, pervers narcissique, mais toujours captivants. C’est le gros point fort de Blind Lake. La plume de l’auteur est réputée et la traduction se fait largement oublier (gros compliment, là). Le style est fort agréable et permet de passer sur les quelques longueurs initiales. En effet,  j’ai eu le sentiment que le roman démarrait vraiment en douceur. Outre l’exobiologie, l’auteur américain aborde les thème de l’anthropocentrisme comme écueil et réflexe, les ruptures, la différence…

Pour conclure, j’ai été séduite par la prose de Robert Charles Wilson, Blind Lake est un récit de Sf au rythme posé dans lequel les pièces se mettent en place avec une lenteur étudiée. Le huis-clos proposé est maîtrisé de bout en bout et servit par des protagonistes  brossés avec habileté et nuance. Une belle découverte même si tout n’a pas été parfait avec un démarrage un peu trop langoureux pour emporter mon adhésion totale.

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Le livre :
  • 432 pages, 140 x 205 mm
  • Parution : 09-11-2005
  • traduction : Gilles Goullet
  • 23€35

37 réflexions sur “Blind Lake – Robert Charles Wilson

  1. J’adore la plume de RC Wilson! Je ne connais pas encore ce titre mais j’ai bien l’intention comme toi, de combler mon retard avec cet auteur!!!!;) Je me not donc ce titre avec plaisir!!!;)

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  2. Très bonne critique ! J’ai réalisé un tir groupé de RCW à la suite il y a quelques années, et à des degrés divers, j’ai aimé tout ce que j’ai lu, dont celui-ci. Je te conseille (outre Spin, évidemment) également Les chronolithes (très bon livre sur les prophéties auto-réalisatrices et un excellent concept de voyage dans le temps) et BIOS, un planet-opera biopunk très noir mais très réussi. De plus, il y a un nouveau livre de l’auteur qui paraît le 18 mai.

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  3. C’est marrant, quand on parle de Robert Charles Wilson (que je publie en France depuis 2000), on a tendance à oublier / passer à côté de son roman post-catastrophique « Julian » sur l’après-pétrole. « Julian » est un roman extrêmement plaisant qui possède de nombreux niveaux de lecture (mise en parallèle avec le destin historique de Julien l’apostat, prospective écologique, , renaissance du cinéma, dictature religieuse, réflexion sur la guerre de Sécession/Civil War, hommage à Mark Twain ; l’auteur y aborde même les thèmes de l’antisémitisme et de l’homophobie, de façon oblique) ; roman qui en plus s’enrichit d’une réflexion filée sur ce qu’est la science-fiction, comment elle fonctionne (en fanfare, si possible) et dans quel but.
    « Julian » est le plus sous-estimé des romans de l’auteur ; il n’est pas aussi scénaristiquement imparable que « Spin », mais il est nettement plus riche.

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    • Bonjour,
      Avec une éloge aussi convaincante sur Julian, il va finir très vite sur mes tablettes. Il est vrai qu’il n’est pas cité très souvent. J’ai repéré effectivement Spin, Les chronolithes, Darwinia, Mystérium, Les Affinités, BIOS et maintenant Julian. Je ne vais pas m’ennuyer. Avec 7 romans de RCW, il y a du choix. Je souhaite lire 3 romans cette année, sans que cela soit un plafond.
      Du coup, je pense que Julian sera dan s le lot, car vous m’avez mis l’eau à la bouche avec un roman si intéressant.
      Merci. 🙂

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  4. Merci pour cette chronique détaillée !

    Le traitement des personnages sous un aspect sombre à l’air intéressant. Je note dans un coin celui-ci et les autres romans de cet auteur que je n’ai pas encore lu.

    Et merci pour ça : « Car notre bon homard nous fait bisquer » 😀

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    • Je t’en prie! 🙂
      Et il parait que Blind Lake n’est pas son meilleur! Les personnages et l’ambiance sont vraiment réussis et prenants.
      Je suis très contente que mon petit trait d’humour ait été apprécié. Elle était incontournable dans mon esprit quand le homard a fait son apparition. 😉

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  5. Ah, enfin du Robert sur ton site. Mon Peter à moi !
    Ce n’est pas celui dont je me rappelle le plus. Lorsque je serais maître du temps (ou immortel, je n’ai pas encore arrêter mon choix), j’arrêterai l’écoulement du temps pour me replonger dans tous les romans que je n’ai pas le temps de relire…
    Ce que j’aime chez lui, c’est que ses personnages sont souvent monsieur/madame lambda. Pas de super personnage. On entre dès lors très facilement dans l’histoire.
    En lisant ton billet, notamment la technologie de l’oeil, cela m’a fait penser au film Premier contact, tu l’as vu ?
    Bon, en tout cas, je t’adoube en tant que fan Wilsonienne. Et la lecture de ses autres romans va, j’espère, te convaincre de te jeter sur tous ses romans passé et à venir.
    J-58 avant l’année prochaine.

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  6. Avec quatre RCW déjà lus, j’ai l’impression que ce n’est pas un habitué des démarrages en trombes ! Mais je suis toujours happée dès les premières lignes…
    Contrairement à toi, j’ai fait l’erreur de commencer par Spin, alors c’est sûr que mettre la barre aussi haute dès le départ n’est pas une merveilleuse idée, pourtant il ne m’a jamais déçue par la suite ^^
    J’aime beaucoup ta chronique, elle met en lumière les points forts de l’auteur, notamment ses personnages façonnés magistralement 😉 Je lirai celui-ci aussi, c’est obligatoire !!!

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  7. Blind Lake est l’un de mes préférés de RCW, j’avais adoré l’ambiance et le sujet du livre. La dualité observateur/observé est très intéressante ici.

    Par contre Julian m’a profondément ennuyé.

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  8. Content qu’il t’ait globalement plu. Comme je te l’avais dit, j’en suis un gros fan. Sur la question de cette technologique, qui n’est pas totalement comprise par les propres gens qui l’ont mise en place, j’ai trouvé pour le coup que c’était une idée assez puissante, et il est à mon avis tout à fait possible que dans l’avenir on conçoive de plus en plus de machines que les chercheurs eux-mêmes ne comprendront qu’en partie, les IA ayant fait une partie importante du boulot.
    En découvrant peu à peu Wilson tu verras que cette idée d’incompréhension face à un phénomène ou une technologie est une chose qui revient très régulièrement chez lui.
    Hâte de voir de ce que tu penseras de ses autres chefs d’oeuvre (je te conseille notamment le cycle de Spin évidemment et Les Affinités – ses autres bouquins, pour lesquels j’ai pris beaucoup de plaisir à les lire aussi, sont plus ou moins bien appréciés suivant les gens).

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    • Blinb Lake est une bonne porte d’entrée pour RC Wilson quand même avec cette qualité d’écriture, de personnages, d’ambiance,…. C’est vrai que j’ai été un peu déroutéé par cette technologie et le traitemnt que lui réserve l’auteur. J’attendais un autre dénouement une explication rationnelle. Désormais, je sais que ce n’est pas dans les procédé d’écriture de l’auteur. Cela me va, le lecteur doit aussi savoir s’adapter et jouer le jeu proposé par l’auteur (dans certaines mesures).
      J’aborderai les autres RC Wilson en gardant cela à l’esprit et le sentiment n’en sera que plus positif.
      Je suis assez bon public, donc je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de romans qui me déplaisent! 😉

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