La Flotte perdue : Téméraire – Jack Campbell

Téméraire de Jack Campbell

La Flotte Perdue, Tome 2

L’Atalante

 

La Flotte Perdue ou la Retraite des Dix Mille revue et corrigée. Autant de soldats à rapatrier à travers une contrée hostile en pleine période antique, je vous laisse imaginer l’ampleur exceptionnelle de la chose. Avec la flotte de Jack Geary, nous rencontrons le même gigantisme et un espoir tout aussi mince de parvenir à bon port. En effet, Jack Campbell s’est largement inspiré du fameux exploit de Xénophon et de sa traversée de l’Asie Mineure au IV° siècle avant Jésus-Christ.

Isolés sur les plaines entre le Tigre et l’Euphrate, les mercenaires sont conduits par le stratège grec : cette campagne est connue dans l’histoire sous le titre de « Retraite des Dix Mille » (les Grecs de la retraite sont 13 600). Dans son ouvrage l’Anabase, Xénophon stigmatise les faiblesses de l’Empire Perse, relate les péripéties du trajet, les combats difficiles et les rapports humains conflictuels. C’est ce que propose Campbell dans sa saga de space opera

Et, l’auteur américain réussit plutôt bien son coup.

« Débordé par la puissance de feu des Mondes syndiqués, le légendaire capitaine  » Black Jack  » Geary poursuit son dangereux repli à travers l’espace ennemi.  » Ressuscité des morts  » au bout d’un siècle d’animation suspendue et rendu à la flotte de l’Alliance, il tente désespérément de la ramener au bercail avec son précieux trophée, la clef de l’hypernet du Syndic, qui est aussi celle de la victoire… La flotte ne comptait pas s’attarder dans le système en déshérence de Sutrah, mais c’était avant d’apprendre qu’il hébergeait des milliers de prisonniers de guerre. Dont le flamboyant capitaine Francesco Falco, autrefois adoré des médias et des foules, adulé par ses troupes, privé de combats et de gloire par vingt ans de captivité. Héros contre héros,  » Black Jack  » contre Falco le  » battant « , un duel d’influence se prépare au sein de la flotte. Le plus grand danger désormais ne vient-il pas de l’intérieur ? »

Téméraire n’est pas le nom d’un dragon. Il s’agit d’un vaisseaux spatial de la Flotte commandée par Jack Geary qui aura dans le récit un rôle un peu particulier. Les batailles spatiales occupent une place de choix dans ce deuxième tome, mais certainement pas la plus importante. Comme depuis le début de l’aventure, Jack Campbell se concentre sur les relations conflictuelles entre les hommes, mais aussi entre les générations. Le procédé utilisé est connu, puisqu’il met en scène un « revenant » qui a connu un autre siècle, d’autres mœurs et une autre façon d’aborder la vie. Nous pourrions reprocher à l’écrivain de se concentrer sur une population très spécifique : une flotte militaire.

Indomptable se focalisait sur la figure de l’homme providentiel. Cette fois-ci, c’est le leadership et la nostalgie qui sont abordés. A l’image de la Grèce antique, le monde de l’Alliance semble se conformer à l’essence de la démocratique : tous les chefs sont élus. Dans la période hellénique, les stratégos (chefs militaires) étaient également désignés par les urnes, comme le fut Xénophon et un des plus célèbres : Périclès.  Nous retrouvons donc cette pratique dans le monde imaginé dans La Flotte Perdue, le collège d’électeur étant sensiblement plus restreint et sans doute la raison de soucis subséquents…

Dans le tome d’ouverture, Black Jack a été désigné par l’Amiral en charge de la flotte pour symboliquement commander cette dernière en son absence. Tout comme Cléarque et Mennon (les généraux grecs sous l’ère Xénophon), ils tombent dans un traquenard et sont assassinés. Geary prend la consigne au pied de la lettre et dirige la retraite de la Flotte, au grand dam des autres capitaines qui s’offusquent du non respect des règles d’élection du Capitaine de la Flotte. Le problème fut réglé, Jack étant au vue des circonstances le plus ancien dans la grade…  Dans Téméraire, ce n’est plus tout à fait le cas, et les rouages démocratiques vont être mis en branle, car le capitaine Falco et Geary n’ont pas la même vision, stratégie et surtout le même leadership. Tout va se jouer sur cette notion, avec l’aide précieuse de Rione, la politicienne. Les tensions sont exacerbées entre les différentes factions, et le jeu politique bat également son plein, chamboulant notre vision du monde militaire. Cette partie est assez bien réussie et tient le lecteur en haleine.

L’autre facette sur laquelle joue l’auteur ainsi que la faction pro-Black Jack Geary est la nostalgie d’un époque révolue où tout paraissait plus facile, plus doré. Une impression que l’on connait tous, n’est-ce pas ? Flaco incarne le présent, tandis que notre héros le passé, glorieux qui plus est. Bien entendu, beaucoup est en faveur de ce dernier : ces faits d’armes passés, l’admiration de la plupart des membres des vaisseaux, la légende qu’il représente, son charisme,… qui peut lutter ?

Ainsi, un décalage se crée entre les deux époques, soulignant les excès des pratiques du jour et leurs nombreuses lacunes. C’est également assez habile car, la période antérieur n’était pas idéale et tellement au-dessus, de plus les tenants pro-Falco ont de très bons arguments et une légitimité certaine. Et après tout, la société hellénique, mère de la démocratie a eu de grands chefs par la voie des urnes… Avec ce tome, l’auteur brosse un background très intéressant à l’Alliance.

Est-ce pour autant un excellent roman de space opera ?

Cela aurait pu l’être. Cependant, dans son opposition entre le passé et le présent, Jack Campbell n’est pas assez équilibré, le côté nostalgie est trop appuyé et possède tant d’attraits que l’issue est prévisible à des kilomètres. Certes, l’ensemble donne une cohérence et densifie l’univers créé mais sans doute au détriment du roman lui-même.

Seuls deux personnages sont brossés avec soin. Jack Geary, l’homme providentiel, avec ses doutes, ses lacunes quant à son nouveau monde et son fonctionnement, les différents ajustements qui lui sont nécessaires ainsi que toutes ses qualités de stratège, son charisme et sa ténacité. Il représente le leader plein de charme, un peu à l’image des grands hommes du XX°.

A l’opposé, nous avons Falco d’une veine plus politique (non péjoratif), sûr de son droit et surtout de son devoir. Ce n’est pas par ambition personnelle qu’il s’oppose au Capitaine de la Flotte, sa formation et son éducation lui dictent son comportement et ses revendications (et quelques opposants à Geary, bien entendu). L’auteur nous livre un personnage avec assez d’ambigüité et de facettes pour le rendre presque sympathique.

Puis, nous avons Rione, l’animal politique (péjoratif) dans toute sa splendeur : manipulatrice, habile, retorse. Elle frôle la caricature à certains moments telle une tête à claque. Les autres personnages sont… utilitaires.

Enfin, question style et plume, Jack Campbell est efficace dans sa prose mais ne rivalise pas avec un Poul Anderson ou un Roger Zelazny.

Ce space opera est une retranscription bien pensée de l’Anabase dans un futur lointain, l’auteur y aborde des thématiques intéressantes mais sans le brio de certains écrivains américains. Nous n’avons pas la dénonciation des travers de l’humanité, chère à beaucoup d’auteurs, ni une sf spéculative de grande envergure. Le roman n’a pas cette prétention, et se place dans le divertissement. Téméraire  renforce l’univers de Jack Campell, mais il manque d’équilibre, de mesure ainsi que de personnages plus en chair pour en faire un très bon roman.

Accessible à tous du moment qu’il n’y a pas d’allergie à la chose martiale.

Tome 1

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Le Livre :
Traduit par : Franck Reichert
Illustrateur : Didier Florentz
Collection : La Dentelle du cygne
Nombre de pages : 384

 

22 réflexions sur “La Flotte perdue : Téméraire – Jack Campbell

    • Ton compliment me fait énormément plaisir.
      Très érudite! LOL.
      Je suis juste une amatrice d’histoire antique et d’histoire militaire.
      Ah, j’aimerai effectivement qu’il y ait un peu moins d’allergies, et un peu plus de connaissances de ces mythes captivants.

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    • C’est un genre un peu décrié notamment en France. Cela vise essentiellement le divertissement, et il faut lire dans cette optique. Ce sont souvent des auteurs américains, du coup cela reste très américain. Mais, une fois que l’on sait cela, on passe de bons moments.
      Il y a les Honor Harrington, et la Flotte Perdue, pour l’essentiel.

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    • Merci pour le compliment, cela me fait quand même sourire le « érudite » car je ne me considère pas comme cela! 😉

      6 gros volume pas de soucis, j’aime bien cet univers et voir si Jack Campbell va jusqu’au bout de la retranscription à l’arrivée dans l’Alliance, avec la peur des institutions et de la population…

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    • LOL! Tu oublies le soleil, la mer, et leur petits vins.
      Je te confirme : ce ne sera pas une lecture digeste pour toi!! Un livre et je crains l’overdose. Ce serait ballot de devoir te réanimer – surtout que je ne suis pas connue pour ma douceur…

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  1. Wow, c’est ce qui s’appelle de l’habile chronique, bravo !!!
    Je suis en plein space-opera signé Peter-F Hamilton, et du coup je vais attendre un peu pour m’intéresser à celui-ci… J’ai peur de la comparaison en fait ^_^

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