Le Château Noir – Glen Cook

Le Château Noir de Glen Cook

La Compagnie Noire, Les livres du Nord tome 2

L’Atalante

J’ai eu le loisir de découvrir avec bonheur La Compagnie Noire en octobre dernier. Vous pouvez consulter ma critique enthousiaste pour vous faire une idée plus précise du contenu du premier tome de ce cycle réputé.

Pour faire court, Glen Cook a imaginé une troupe de mercenaires de tout poil et de tout crin, et surtout craints. Ces rustres proviennent de divers horizons, ils ont souvent vécu d’expédients, de rapines et autres méfaits pas très avouables. L’entrée dans la Compagnie leur offre une virginité nouvelle, même si ce terme prête à rire lorsque le lecteur côtoie cette bande de gaillards au verbe cru et à l’allocution brève.

Fort de plusieurs milliers de combattants, cette unité engagée par La Dame – une sorcière aux pouvoirs… impressionnants –  affronte les rebelles dans le Nord de ce monde imaginaire. Après moult péripéties et batailles, les fâcheux sont défaits. Une petite précision qui a tout son poids, la Compagnie Noire s’est rangée aux côtés du « mauvais » camp. Cette dichotomie est toute théorique tant les salopards appartiennent aux deux factions, avec toutefois un penchant assez net pour les Rebelles. En effet, ces hommes n’hésitent pas à abuser de tout et de tous (viols de jeune fille muette, assassinats, pillages,…), alors que nos mercenaires se contentent du strict minimum en terme d’exaction et font même preuve d’une once de chevalerie en se portant au secours de jeune fille muette.  Ce sera une fois de plus le cas avec Le Château Noir, Toubib et sa bande devront faire des choix et parfois en s’efforçant de sauver la veuve et l’orphelin. Parfois.

Les comportements des uns et des autres ne sont pas totalement cartésiens, et le lecteur se plonge donc dans une histoire ou la distinction entre le bien et le mal est toute relative. Les événement nous sont contés par l’intermédiaire des Annales de la Compagnie Noire, tenues par le médecin de la troupe Toubib, sans doute le plus expansif et volubile de tous.

Alors, est-ce une reprise des éléments d’une tambouille dont l’alchimie a parfaitement opéré ?

Ben, non. Glen Cook ne choisit pas la voie de la facilité; et si lors du premier tome nous avions une intrigue somme toute assez linéaire transmise d’une seule voix,  Le Château Noir nous invite à suivre l’aventure sous deux angles différents et presque opposés.

Ainsi, plongeons-nous dans les quartiers chauds de Génépi, qui est pour moi un digestif à base de plantes fort savoureux. En revanche, si pour Glen Cook, l’alcool coule à flot dans les artères de Génépi,  il s’agit non pas d’une boisson mais d’un coupe gorge de première catégorie dont la puanteur et la déliquescence ne sont aténuées que par les températures polaires y régnant. En ce lieu « magique et divertissant », se tient une auberge qui n’en a que le nom, le Lis. Le patron Marron Shed est un poltron reconnu et abusé par la plupart des malfrats du coin. Autre particularité du triste sire, il a le don de s’endetter de manière chronique, c’est un panier percé. Il ne doit son salut jusqu’à présent qu’à sa jeune employée, belle et muette, couvée et protégée par un énergumène assez mystérieux et effrayant. Il se fait appeler « Corbeau »…

Non seulement la structure narrative évolue, mais surtout la construction de l’intrigue se modifie sensiblement. Il ne s’agit plus de suivre le déploiement d’une troupe de mercenaires de combat en combat, mais de trames alambiquées, d’enquêtes en sous main, pour savoir où est passé Corbeau, en prenant des risques insensés. Shed qui essaie de se dépêtrer de la gangue affairiste nous offre des moments ou le suspens vole la vedette à l’humour noir.  Et, il y a le Château Noir, trame principale du présent tome, tumeur maligne qui grossit à vue d’œil et qui intrigue autant qu’elle inquiète. L’aura de malfaisance qui l’entoure est glaçante….

Pour autant, l’action n’est pas recalée au fond la classe, le lecteur aura le loisir de suivre quelques échauffourées, des coups-bas, des trahisons, des peines de cœur (si,si), et un ultime combat de virtuoses.

En revanche, l’atmosphère qui imprègne les pages est inchangée. Nous sommes bien dans le la Dark Fantasy, avec la crasse sous les ongles, les gueules mal rasées, les poux dans les replis des chairs, le langage argotique, l’œil lubrique, et le couteau entre les dents. Et si d’aventure, le lecteur croise un belle femme, c’est pour mieux embrouiller un malheureux. Excepté la Dame.

Dans le tome précédent, nous faisions connaissance avec cette créature magnifique à travers les yeux de Toubib, avec des petits poèmes en marge des annales, des fantasmes assumés, et quelques rêves nocturnes. Nous l’avions entraperçue lors de la bataille clôturant l’aventure et j’avoue avoir été très intriguée.

Ici, elle n’est guère plus présente, mais la magie opère encore, elle est peut-être plus mystérieuse encore et Toubib navigue entre attraction et angoisse. Un homme assez complexe ce médecin dont nous ignorons encore le passé. Fidèle et loyal envers ces compagnons et la Compagnie, érudit à sa façon, il est partagé entre les doutes et les remords. Leur engagement auprès de La Dame, lui pèse surtout après 7 années à son service, mais cela n’empêche pas un comportement quelque peu retors pour protéger les siens. Il me fait penser au Docteur de La Coline des potences, un personnage assez sulfureux également.

Les autres protagonistes sont tout aussi réussis et Glen Cook force l’admiration en donnant vie à cette galerie de compagnons avec une économie de moyens étonnante. Nous retrouvons donc Qu’un-Œil toujours en compétition avec Gobelin, Silence le sorcier muet, Elmo, et enfin le capitaine. D’autres recrues de la Compagnie noire font leur apparition, c’est logique de rencontrer des têtes nouvelles après un conflit intense, et l’écoulement de ces sept ans. Pourtant ceux-là ne frappent pas l’esprit, contrairement à  Bœuf, un inquisiteur en charge d’une enquête sur le violation des catacombes de Génépi (où existe un culte des morts particulier). Initialement, il a tout de la brute épaisse, mais Glen Cook parvient à lui donner plus de profondeur qu’une première lecture laisserait soupçonner. C’est surtout Marron Shed qui tire la couverture à soi, lui la poule mouillée de première catégorie, la tête à claque insupportable, la caricature du poltron de base… son évolution se fait à coup de pieds dans le c***, et la mue est cohérente et jouissive!

Bref, je suis presque aussi conquise que lors de ma découverte. Presque, car le début est un peu poussif à mon goût, et la quasi absence d’un de mes personnages préférés tempère ma flamme.

Le premier tome m’avait franchement emballée, celui-ci confirme mon enthousiasme initial. Le château Noir propose une Dark fantasy qui fait honneur au genre, avec des personnages bien campés dans les nuances les plus grises. Glen Cook nous conte un récit sombre et rythmé qui exile le manichéisme à des années-lumières du Nord. L’intrigue principale est appuyée par des trames secondaires traîtresses fort captivantes, promettant une évolution de la saga tout autant alléchante.  Une petit réserve concernant l’emploi de Corbeau qui fait presque office de figurant – ou plutôt d’épouvantail, et un début un poil timide.

Autres critiques :

Le Culte d’ApophisBoudicca (le bibliocosme) – XapurLorhkanL’Ours InculteLup’appasionata

Challenges :
Challenge Littérature de l’Imaginaire – 5° édition

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Les pavés de Livre Addict

Le livre :
  • 413 pages
  • 30 mars 2005

48 réflexions sur “Le Château Noir – Glen Cook

  1. Quel plaisir de lire ta critique !!! Surtout que ce tome-ci à été l’un de mes préférés, si ce n’est mon préféré !!! D’ailleurs, j’ai gardé un amour pour la dark fantasy depuis la découverte de cette saga ^_^
    J’avais été séduite par l’ambiance glauque et enveloppante de Genepi où le culte des morts est omniprésent.
    Et puis qu’est-ce c’est rafraîchissant quand la ligne entre bien et mal devient floue, n’est-ce pas ? 😉
    Seules les dernières pages m’avaient semblé un peu trop expéditives pour l’importance des faits relatés ^^
    Un chose est sûre, Glen Cook est un Maître du genre, et ton excellente chronique lui rend, une fois de plus, un bien bel hommage 🙂

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  2. Entre ta lecture du 1er tome et du second, j’ai commencé cette saga moi aussi. J’ai lu les deux premiers jusqu’ici et je dois avouer… que ça me plait moyennement. Je n’ai pas vraiment quelque chose à lui reprocher, je n’accroche juste pas trop à l’histoire et aux personnages. Un peu plus à celle du tome 2 par rapport au premier tout de même. Je lis encore le 3 car j’ai l’intégrale 1 et qu’il semble que cela fasse une trilogie complète mais je doute de continuer, à moins d’un revirement total.

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    • Je comprends que cela puisse être mi-figue mi-raison, le style du narrateur reste assez terre à terre, et les personnages sont rustres, tout comme l’univers. Je ne dirais pas aride, mais assez brut. J’aime car cela donne un ton authentique et cohérent avec l’univers, mais cela ne séduira pas tout le monde.

      Parfois, il y a des inpressions qui ne s’expliquent pas tout à fait -, une rencontre qui ne se fait pas. J’ai la même problématique que toi avec d’autres auteurs qui sont adulés et pourtant je reste sur mon quant à soi…

      Je ne sais pas si je dois te souhaiter bon courage, mais au moins bonne lecture en espérant que le déclic se fasse. 🙂

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  3. mmm, c’est bon le génépi 😀

    très belle critique, c’est ce tome 2 qui m’a définitivement accroché à l’univers, le premier était bon mais avait eu beaucoup de mal à démarrer pour moi, puis après ça passe tout seul.

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    • J’aime bien le génépi, en revanche, à Génépi, je ne sais pas si j’ai envie de m’y aventurer… 🙂
      J’ai envie d’embrayer avec la suite, mais j’ai peur de me lasser trop vite en lisant les 10 autres tomes d’un coup et de lasser mes visiteurs… C’est vraiment très prenant! (si l’on aime)

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  4. Très agréable à lire, cette chronique ! On sent que tu t’es amusée à l’écrire 😉
    Il faut que je teste la Dark fantasy ! (comme tout un tas d’autres choses, en partie grâce à toi !) j’ai la Tour Sombre du King et American gods de Gaiman dans ma liste, d’après mes petites recherches ils sont classés dans cette catégorie, je me réjouis de voir ça 🙂

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    • Oui, il faut que tu te lance dans la Dark Fantasy. C’est quelque part l’évolution classique du lecteur de l’imaginaire. Note, que je mentionne quelque part.
      Nous partons souvent de la High Fantasy, telle que le SdA (ou Harry Poter) ou d’autres sagas de la même veine où tout est lumineux, dichotomique et balisé. Au bout de quelques années de cette lecture personnellement je me suis lassée de la fantasy gentillette. Je piochais pafois de bonnes histoires, mais pfff un peu la même ambiance, grosso-mer*** les mêmes types d’intrigues, les mêmes genre de personnages, le même univers med-fan.Alors c’est sympa quand tu en lis une poignée par an, mais quand tu lis des dizaines de romans dont une trentaine de fantasy, c’est lourd et tu abandonnes.

      Bref, la dark fantasy – et maintenant de nouveaux sous-genres – s’affranchit des carcans de la High ou Light fantasy et propose quelque chose de nettement plus corsé, nuancé, avec une galerie de personnages moins lisses, des trames qui partent dans tous les sens et des univers vraiment différents. C’est franchement très agréable de lire des romans tout en gradation (de gris). C’est un peu comme avec les équations, celles du second degré au bout d’un moment c’est bien joli mais bon, cela ne te challenge pas. Quand on augment les degrés, la complexité ( avec les nombres complexe – j’adorais passer par la forme d’Euler), là tu commences à t’amuser.

      Je n’ai ni lu le King, ni le Gaiman. Les Tours sombres sont très volumineuse, je ne commencerais pas par celui-ci. Gaiman est quand même à part.

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      • Merci pour cette explication ! Je vois bien ce que tu veux dire avec la Light fantasy… Comme je varie énormément mes styles de lecture, je me lasse moins, mais même comme ça je ressens bien les schémas qui se répètent sans cesse, et si les personnages n’ont pas assez de relief je décroche rapidement.
        Je pensais que la Dark Fantasy c’était simplement de la fantasy plus glauque (par exemple, j’ai cru que Les Bannis et les Proscrits de James Clemens en faisait partie, alors que c’est de la High Fantasy d’après wiki – ce qui me semble correspondre puisque tout est finalement assez épique et victoire du Bien sur le Mal), ça m’intéresse encore plus maintenant que je sais que c’est aussi une remise en question des codes !
        Effectivement, je crois que La Tour Sombre est un sacré morceau. Pour l’instant, je m’attaque à d’autres oeuvres du King pour me faire à sa plume (je suis plongée dans « Ca » en ce moment, je suis plutôt fascinée)… Quant à Neil Gaiman, il doit être assez inclassable 😉 J’ai lu d’autres de ces livres, et il a vraiment son propre univers (que j’aime beaucoup, par ailleurs !).
        Bref, je vais me pencher plus sérieusement sur toutes ces classifications de fantasy ! (Je vois que Clive Barker est aussi cité dans les oeuvres de Dark Fantasy, ce qui tombe bien puisque j’avais adoré Abarat il y a une dizaine d’années et j’avais envie de le retrouver dans une oeuvre plus adulte. Au passage, si tu as un conseil, je prends !)

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  5. Nous sommes d’accord 🙂 Merci pour ton excellente critique !

    Tu verras, La rose blanche et La pointe d’argent (qu’il faut vraiment lire en 4e position) sont également très bons dans leur genre. Après ça, les Livres du sud et ceux de la Pierre scintillante réservent eux aussi de bons moments, particulièrement Rêves d’acier.

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    • Merci Apo! 😉
      C’est encore un excellent roman. En ce moment, je « pioche » dans le haut du panier pour la fantasy. Je me régale.
      Je vais me les mettre dans l’ordre pour les lectures 3 et 4. J’ai noté ton enthousiasme pour Rêves d’acier….

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  6. Ah oui, cela me perturberait d’avoir un quartier nommé Génépi. Cela donne une touche d’humour non souhaitable pour la Dark Fantasy. En tout cas, ta chronique (et la précédente), me donne vraiment envie! Je suis de plus en plus attirée par la Dark Fantasy, peut-être aussi parce que jusqu’ici j’ai adoré ce que j’en ai lu.

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    • Ah!AH! je ne pense pas que Glen Cook connaisse la boisson alcoolisée des Alpes. Je suis ravie de donner envie de lire cette série. Personnellement, c’est dans la Dark fantasy que je prend le plus de plaisir à lire. La Light et la Hight me plaisent maintenant modérément, souvent je m’y ennuie, et j’ai failli abandonné la lecture de ce genre à force de lassitude. Cependant, comme je n’en lis plus aussi souvent, cela passe et je leur trouve un côté rafraîchissant – à petite dose.

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      • C’est vrai que pour trouver des livres novateurs dans la Fantasy, c’est des fois compliqué! Surtout chez beaucoup d’auteurs qui recrache la même recette remâchée cent fois, mais qui fonctionne (donc pourquoi se fatiguer?). Mais cela arrive de tomber sur des pépites et de trouver le petit truc qui fait la différence!

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  7. Et le troisième tome est encore meilleur !
    D’ailleurs, il faut que je me mette à la suite, je me suis arrêté à la trilogie initiale. J’ai beaucoup aimé, pour quoi stopper là ? Parce que je n’ai pas assez d’une vie pour tout lire ? Mmmmoui, mais quand même ! 😀

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    • Je pense que je ne vais pas tarder à le lire d’ailleurs! C’est très encourageant de savoir que le 3° est meilleur, du coup cela booste davantage l’envie de le lire.
      Nous avons effectivement tant à lire!!!!

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  8. Je termine la lecture de ce deuxième tome (encore quelques pages) et je tombe justement sur ta chronique, à laquelle je n’avais à l’époque pas porté d’attention, puisque je n’avais pas encore lu le tome 1. L’évolution de Shed est en effet très réussie et cohérente, mais ce que je le déteste ! Bon, bref, j’ai bientôt terminé et ta chronique me semble tout à fait juste.
    Petite question : qui est donc ton personnage préféré ?

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